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  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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14 mai 2008 3 14 /05 /mai /2008 07:33

 


Je suis encore sous l'émotion de la Maison de Bernarda que je viens de voir à l'opéra Garnier ce dimanche 11 mai, et sous l'extraordinaire interprétation de Manuel Legris dans le rôle de la veuve Bernarda

Cette oeuvre austère, puissante, forte, et parfois drôle de Mats Ek met en scène une veuve et ses cinq filles qui vivent recluses :  aller prier à l'église voilée de noir est leur seul moment à l'exterieur  de la maison où elles subissent la tyrannie et la frustration de leur mère.

Je reviendrai sur cette oeuvre noire mais qui ne manque pas de couleurs plus tard. Je veux simplement ici, en quelques mots parler de Manuel Legris qui décidément, n'en finit pas de surprendre, d'étonner....

Ces cinq dernières années, je ne l'ai certes pas vu danser dans tous les rôles qu'il a endossés, mais trois d'entre eux, parmi ceux que j'ai vus,  m'ont profondément marquée : il y a d'abord le rôle d'Aminta, dans le poétique et triste  Sylvia  de J Neumeir; le rôle de Charlus, dans  Proust ou les intermittences du coeur , de Roland Petit et enfin, ce rôle de  Bernarda, dans la maison de Bernarda de Mats Ek

Pour ces trois rôles, Legris présente une technique éblouissante, et qui ne fait pas dans la démonstration. Cette technique, impressionnante,  est au service de son personnage. Elle a  gagné en concentration. Certes, Legris a toujours dansé avec une intensité et un abandon total - je l'adore dans la variation de la méditation de la Belle au bois dormant, inégalée pour moi -. Aujourd'hui, j'ai l'impression en voyant M Legris danser que tout part d'une force intérieure exceptionnelle et  parfaitement maitrisée. On a l'impression que c'est cette force intérieure qui nourrit tous ses pas, toutes ses intentions, jusqu'aux expressions de son visage qui sont toujours justes.

Il est étonnant que le rôle de Bernarda soit tenu par un homme : c'est ce que veut Mats Ek. Plus étonnant encore qu'on ne doute pas   un instant  que Legris soit cette Bernarda tant il endosse son rôle avec conviction.

Le personnage est tout à la fois détestable et touchant. Sans être jamais ridicule, ce qui n'est pas chose aisée; car la scène   avec la statue du Christ descendue de son crucifix, dansée torse nu, pourrait tomber dans le scabreux. Il n'en est rien. Ressort simplement le mélange de foi, de frustration, de solitude, d'une femme blessée par son veuvage et par la situation politique étouffante que traverse son pays.  ( L'oeuvre de Lorca dont s'inspire Mats ek a été écrite quelques temps avant que l'écrivain ne soit exécuté par les franquistes)

Ce personnage, Legris lui donne un coeur, des tripes, une austérité, une apreté, tout cela à la fois, et surtout, une présence sur scène dominatrice, tyrannique, impitoyable. Il broie sa famille, et même sa bonne qui a une haute vitalité et une bonne dose d'humour et qui parfois tente de s'opposer à elle, subit aussi sa tyrannie implacable.

Quand à la technique de M Legris, qui comme je l'écrivais plus haut est au service du personnage, elle est précise, virtuose, nerveuse, et a gagné quelque chose qu'il n'avait pas dans sa jeunesse. Qu'est ce que c'est? Car legris a près de 45 ans et part à la retraite cette année. Et j'ai vu bon nombres de danseurs qui artistiquement étaient extraordinaires à la fin de leur carrière, mais avaient perdu de leur " panache" technique, ce que compensait leur maturité artistique. Là, ce n'est pas le cas : non seulement la technique est intacte,mais elle semble avoir acquis une précision, une intensité supplémentaires.  Comme si un feu ardent couvait sous chaque pas...

 
Les deux autres rôles que j'évoquais plus haut atteignent eux aussi une perfection tant sur le plan de l'interprétation que de la technique

Aminta, débordant d'amour pour Sylvia, est un personnage pathétique, qui nous rappelle toute la force qu'a le mot nostalgie. Sa première variation est débordante d'espoir, d'amour, et au fil du temps et du choix de Sylvia, le personnage gagne en tristesse et en chagrin. Il nous emmène alors dans le pays de l'hiver, où résonne en echo lointain le souvenir d'une jeunesse... et pourtant, l'amour n'est pas mort... IL y a une très belle captation video de ce ballet disponible en dvd.... le rôle est sur le fil, tout en sensibilité, en délicatesse, mais sans aucune mièvrerie.

Quand au personnage de Charlus, Legris lui donne là aussi une humanité qui n'est pas si facile à rendre. Ainsi, ce personnage bafoué dans son amour ne devient pas grotesque mais profondément touchant.
Et lorsque vient la variation ou Legris/ Charlus entend Morel jouer du violon, on retient son souffle tant on est emporté par la fougue, la précision, la netteté des pas dansé par Legris... il règne alors une frénésie que l'on connait lorsque l'on est amoureux. Et derrière cette frénésie transparait un vague ridicule d'un personnage du boulevard Saint Germain qui " s'oublie presque" dans cette effroyable société que sont ces parvenus de Verdurin....

Bref, je n'ai pas souvenir à l'opéra de Paris d'avoir été ainsi étonnée par des danseurs à la fin de leur carrière. ( Des danseuses si! N Pontois notamment)

Legris, au delà de sa technique a cette capacité incroyable a surprendre encore par l'intelligence qu'il a des rôles qu'il endosse. Et cela, c'est à mes yeux, le plus cadeau qu'on puisse faire à un spectateur : l'emmener là où il ne pensait même pas aller... lui faire retenir son souffle, tant l'intensité esthétique emporte vers des hauteurs d'où l'on redescend profondément nourri et enrichi....

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commentaires

C
Que dire du plus si ce n'est que tu as résumé tout ce qui fait Manuel Legris, l'ETOILE de l'Opéra de Paris. Comme tu l'as dit j'ai aussi vu des danseurs en fin de carrière, mais on avait plus souvent mal pour eux qu'autre chose. Alors certes, il y a une diminution, mais rien de terrible comme avec Charles Jude. Et puis il y a cette intelligence de la scène qu'il a acquise au fur et à mesure de sa carrière. Je n'ai pas vu sa Bernarda, mais son Charlus était tout bonnement exceptionnel. Je crois qu'on n'est pas prêt de retrouver un danseur comme lui. Il était unique et le restera !
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