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  • : Un jour, une œuvre
  • : Créé en 2006, ce blog rédigé par Valérie Beck autrefois consacré à la danse et à ma compagnie se diversifie davantage.
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Noureev

 

Danser, telle la phalène sous la lune, le pinceau du calligraphe, ou l'atome dans l'infini 

                                              

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1 novembre 2013 5 01 /11 /novembre /2013 15:46

 

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           Noureev et Tennant - Ballet du Canada - 1972

 

Un bref historique…

 

Ce ballet composé en  1890 par Tchaïkovski, est une commande des Théâtres Impériaux et de son directeur, Ivan Vsevolojski. C'est le second ballet du compositeur qui a déjà écrit le Lac des Cygnes en 1876. Ce ballet,   chorégraphié en premier non par Petipa mais par Julius Reisinger,  fut un terrible échec.  Le pauvre Tchaikowksy  dut assister impuissant non seulement à une chorégraphie calamiteuse mais à la mise à sac de sa partition car la prima ballerina a jugé bon de remplacer des dizaines de pages de sa partition par du Minkus qu’elle trouve bien plus dansant… 

 Heureusement : justice sera  rendue à cette poétique et poignante partition vingt ans plus tard, grâce au génie de Petipa qui la  magnifiera. Les actes blancs et leurs trentes cygnes aux arabesques inoubliables sont un chef d’œuvre de construction, d’équilibre, de beauté et de perfection classique. Tchaikovksy, décédé trois ans plus tôt, n’en saura rien. L'oeuvre, plus d'un siècle plus tard, n'a rien perdu de sa force et de sa poésie et figure au répertoire de toutes les compagnies classiques

 

 

Si le compositeur accepte la proposition de Vsevolojski malgré cette première expérience désastreuse, c’est au moins pour deux raisons : le livret s’inspire d’un conte de Perrault  que sa mère, d’origine française, lui lisait quand il était enfant. Cette possibilité de se plonger dans son enfance et ses souvenirs le ravit, lui qui a traversé des heures bien  sombres quelques années plus tôt, ne parvenant plus à écrire une seule note de musique.  La seconde est qu’il peut travailler directement avec le chorégraphe, créant ainsi une œuvre à deux voix. Petipa qui sait à quel point les compositeurs n’aiment pas être dirigés, a tout prévu dans les détails afin de rendre la collaboration agréable. Leur vision commune du conte, de sa scénographie permettra une vraie entente entre les deux artistes et également la naissance de  Casse Noisette, deux ans plus tard.

Le Lac posthume complète cette trilogie dansée aujourd’hui encore sur les scènes du monde entier. Marius et Piotr auront donné en seulement six années au ballet classique ses plus beaux joyaux. Cette riche collaboration permettra ensuite à d’autres compositeurs d’accepter de se frotter au monde  du ballet, ce qui était impensable auparavant. Pour Petipa aussi, c’est une rencontre heureuse ; il a enfin trouvé un compositeur à la hauteur de son talent. Ses chorégraphies pourront devenir symphoniques et être totalement portées par la musique. Petipa crééra des ensembles, des duos, des variations où la pureté du style classique s’entremêlera à sa poésie naturelle et expressive.

 

A la création, Aurore était dansée par l’Italienne Carlotta Brianza âge de 23 ans ; Pavel Gerdt, son Désiré avait exactement le double de son âge. Petipa avait confié à sa fille Marie le personnage de la Fée Lilas. Cecchetti incarnait Carabosse ET l’Oiseau Bleu.

 

Pour Rudolf Noureev qui découvre l’œuvre au Kirov, après en avoir entendu longtemps parlé à Oufa par son maître de danse, c’est le coup de foudre absolu. C’est précisément avec ce ballet que Noureev triomphera dans les ballets du marquis de Cuevas – dont il critiquera largement les costumes pesants qui contraignent les mouvements – dans les doubles rôles du Prince et de l’Oiseau Bleu.

 

 

L’opéra de Paris et la Belle

 

L’opéra de Paris découvre en 1922  lors de la période des Ballets Russes le troisième acte de la Belle qui est une espèce de «  compilation-divertissement » appelée le Mariage d’Aurore. Il est  présenté le 31 mai en même temps que l’Après midi d’un faune, le Spectre de la Rose et Shéhérazade. On peut lire sur le programme «  la variation des Comtesses, Marquises, Duchesses, de Barbe Bleue, du Papillon siamois, Shéhérazade, des trois Ivan et la variation du Prince sont de la Nijinska ». La première production intégrale de l’ouvrage à l’opéra voit le jour en 1974.  La chorégraphe est Alicia Alonso. En 1982,  Rosella Hightower, alors directrice de la danse a Paris, fait donner 45 représentations successives de la Belle au bois Dormant dans l’immense salle du Palais des congrès. C’est un triomphe. C’est seulement en 1989 que Noureev donnera sa version à la troupe.

 

 

Aurore au premier acte : Princesse mais femme de tête !

 

Dès son entrée, Aurore, 16ans,  montre toute sa fraîcheur et sa jeunesse. Les nombreux sauts de chats expriment à eux seuls un enthousiasme et une candeur enfantine. Mais c’est une Princesse.

 

   developpé seconde et équilibre, tempo lent.

developpe-seconde.JPG Et comme telle, elle sait aussi contenir ses émotions : ce que montre le célèbre Adage à la Rose, moment d’équilibre et de concentration redoutables pour la danseuse. Quatre princes sont présentés à Aurore qui  passe de l’un à l’autre (quatre développés seconde). Pendant la longue tenue de l’ attitude arrière, les princes la saluent à tour de rôle. Puis ils lui offrent chacun une rose, mais la princesse ne les garde pas, montrant  par ce geste à la fois sa détermination, sa maturité : elle ne veut pas choisir un époux, malgré la volonté de ses parents : elle donne les quatre roses à sa mère.

A la coda, pendant laquelle l’orchestre monte en puissance,  Aurore retrouve  ses quatre attitude-Aurore.JPGdéveloppés seconde du début, avec double pirouette, attitude quatrième -mais la Princesse a pris de l’assurance ; sa délicatesse et sa courtoisie du début ont fait place à sa détermination. Elle termine sa variation au centre des quatre princes avec ses magnifiques et redoutables pirouettes à la seconde, et les tours attitudes cambrés. Vient la dernière diagonales de développés seconde, très rapides cette fois : les Princes font une dernière tentative en offrant une nouvelle rose – ils sont tenaces !                                                                                                    attitude 4ème et équilibre : mise à distance

 

qu’Aurore saisit avant de les jeter au sol cette fois-ci :   pas la peine d’insister, messieurs les Princes,  j’ai dit non ! Et je vous réserve le même sort qu’à vos fleurs si vous continuez ! semble dire Aurore. Le tour attitude quatrième où chaque prince fait tourner la princesse sur elle-même – autre redoutable moment de concentration ! clôt la varation.

 

Noureev  et la Belle :

 

C’est grâce à la scénographie de Noureev que cette variation prend tout son sens ; Aurore représente la jeunesse, l’avenir ; elle souhaite être maîtresse de son destin, de son cœur. Autour d’elle, une cour empêtrée dans son étiquette et ses traditions cherche à lui imposer son destin.

 

Carabosse.JPG

Carabosse devient  avec Noureev  une douairière méchante et frustrée qui entend bien faire entendre raison à cette jeune fille insoumise. Elle refuse les princes qu’on lui propose ? Il faut la punir ! Féru de psychanalyse de conte de fées, Noureev fait de ce personnage un barrage à la féminité et la sexualité d’Aurore. C’est l’épingle de son chignon et non sa quenouille qui blesse Aurore. En face d’elle, Lilas permettra à Aurore d’être elle-même ; elle lève les tabous, les interdits. Elle représente la liberté. Elle permet la rencontre de deux jeunes gens. Elle préside à leur heureuse destinée et à une arrivée d’air frais et pur à la cour.

 

la-fee-Lilas.JPG

   

Noureev met en scène sa première Belle au bois dormant en 1966 pour la Scala de Milan avec Carla Fracci en Aurore. La chorégraphie de Petipa est respectée. Sa mémoire prodigieuse lui a permis de graver de façon certaine la version dansée au Kirov qui a conservé au plus près le ballet d’origine. 

 

Noureev disait «  Quand je faisais mes premiers pas à Ufa, mon maître à danser qui avait appartenu au Kirov, me disait toujours que la Belle au bois dormant était le ballet des ballets ; et j’en étais gourmand à l’avance. Le Kirov, plus tard, m’a fait découvrir la splendeur du festin. Ce ballet représente en effet l’apogée du ballet classique : la danse s’affirme alors comme art majeur. Et cela constitue un événement historique : après la Belle, le ballet a pu attirer  lui les plus grand compositeurs qui ‘n’ont plus hésité à travailler avec les chorégraphes. »

Lorsqu’il remonte le Ballet pour l’opéra de Paris, (1989) c’est d’abord à Georgiadis qu’il confie le soin de réaliser décors et costumes. Mais c’est Ezio  Frigerio et la talentueuse costumière Squarciapino qui les créeront pour la nouvelle production à la Bastille (1997), Georgiadis étant à présent trop âgé pour supporter une telle somme de travail. Les 100 ans sont évoqués par le changement de style : celui de Louis XIV laisse la place à un style plus Louis XV, en tous cas pour le Mariage, car la chasse louche un peu du côté des costumes Louis XVI.

 

  Le rôle de Patricia Ruanne

 

En 1975, Patricia Ruanne fut la princesse Aurore de Noureev au London festival ballet.   Noureev qui avait beaucoup dansé avec elle et créé Juliette littéralement sur elle  en lui faisant innover sur pointes la technique contemporaine acquise auprès de Graham, lui demanda de devenir répétitrice du ballet de l’opéra ; après la mort de Rudolf, elle continua d’assumer cette fonction avec passion, détermination et aussi de grands moments de doute lorsque les productions passèrent de Garnier à Bastille, au plateau démesuré ; elle disait qu’elle se demandait sans cesse si Noureev serait content du résultat. La Belle fut le premier ballet qu’elle remontera sans la présence de Rudolf à ses côtés

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Cette production énorme de 1997 a demandé trois mois de travail à plein temps pour atteindre à cette perfection que Rudolf aimait tant. Le résultat est magistral. C’est Le plus beau décor jamais réalisé pour ce ballet, la châsse parfaite pour l’un des joyaux les plus précieux qu’il soit.  Ezio Frigerio explique à quel point l’univers de Noureev était loin du sien, et l’effort qu’il a fait pour se mettre à sa place afin de réaliser ce qu’il voulait. «  J’ai vraiment été vers lui, vers son monde, explique –t-il, ce n’était pas mon goût mais le sien ; il suffisait d’entrer dans sa maison pour voir son amour oriental du vieil or, des matières et des couleurs. Et j’ai fait tout mon possible pour le comprendre et le servir au mieux, y compris pour son tombeau. »  Travail que Noureev aurait sans doute adoré par sa magnificence et son sens du détail. 

 

Les différences entre les deux productions sont de taille : ainsi, le prologue se déroulait en plein air dans la première production ; il n’y avait pas le grand escalier par lequel arrive Aurore. Frigerio qui doit adapter ses décors aux dimensions du plateau fait du prologue et du premier acte un immense espace théâtral, avec colonne roccoco, dorure, trône,le-temps-a-passe.JPG  et grand escalier.  On ne voyait pas non plus le lien entre le décor du prologue et celui du second acte qui montre bien avec   que le temps  a passé et que la pierre s’est effritée puisque la toile peinte qui représente une rotonde devient une peinture à la Hubert Robert.

C’est cette version qui sera donnée cette année à Bastille.

 

Le Prince et Noureev

 

Dans ce ballet, Noureev a donné toute son importance au prince au deuxième acte qui est le personnage central du second acte.  La variation lente du prince qui dure 7 à 8 minutes sur un  très beau solo d’alto, redoutable pour le souffle, est conçue comme un monologue de théâtre ou un air d’opéra. On sent que Noureev s’est frotté à Shakespeare. Le Prince s’interroge sur sa vie, son destin ; il confie ses doutes, ses peines, son envie d’être aimé, compris ; il étouffe au sein d’une cour où les mêmes gens et les mêmes jeux le lassent ; il veut la solitude afin de réfléchir au sens qu’il veut donner à sa vie.  Manuel Legris dit qu’on avait l’impression que les pas qu’il proposait sortaient de son rêve. « Lorsque l’on arrivait à les danser comme il le souhaitait, il était alors fou de joie et comme transporté  sur une autre planète ». De la sorte, le ballet est parfaitement rééquilibré.  Si le rôle du prince s’accentue dès 1966 à la Scala, c’est en 1972 et au Canada que Noureev ajoute le superbe solo romantique du prince. Il y a d’ailleurs un film de cette version, malheureusement, de mauvaise qualité visuelle. Noureev donnera ensuite son ballet à l’opéra de Vienne en 1980 puis enfin à Paris en 1989.

 

Autres changements de Noureev :

 

Les autres modifications par rapport au ballet d’origine sont pour les fées : la seconde variation est dansée par deux fées jumelles, et la Fée Lilas ne danse plus la 6ème variation. Elle intervient plus tard dans le prologue, et le rôle utilise la pantomime avec ses codes si particuliers. Cette fée Lilas lumière s’oppose à la fée Carabosse douairière : l’une se tourne vers le progrès, les Lumières littéralement, l’autre vers le passé, la tradition.

Au troisième acte, le Petit chaperon rouge et le Loup disparaissent ainsi que Cendrillon. Le pas de quatre des pierres précieuses devient un pas de cinq.

 

 

 

Cette Belle au bois dormant, vue et revue, délivre à chaque fois de nouvelles perspectives, de nouvelles surprises, de nouveaux enchantements, pour peu que la distribution soit à la hauteur. Ainsi sont les chefs d’œuvres : ils nous accompagnent toute notre vie et grandissent en même temps que nous dans notre cœur et notre esprit.

 

Il existe une captation avec Noureev et Tennant ( Aurore) et le ballet national du Canada qui date de 1972 à l'image malheureusement médiocre... comme tous les documents qui concernent Noureev, je la possède bien évidemment...

 

 


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commentaires

A
<br /> Merci pour toutes ces précisions!<br />
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